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L’« école libre », ou l’histoire d’une hache de guerre jamais vraiment enterrée

Histoire d’une notion. Le 24 juin 1984, entre 850 000 et 2 millions de manifestants défilaient dans les rues pour s’opposer au projet de loi visant à intégrer les écoles privées à un « grand service public », porté par le ministre socialiste de l’éducation Alain Savary. Le « mouvement de l’école libre », comme on l’appelle alors, aboutira dès le mois du juillet à la démission du ministre et à l’abandon du texte.
Mais de quoi cette « école libre » est-elle le nom ? En France, « depuis 1789, la liberté d’enseigner et d’être enseigné s’est essentiellement résumée en liberté de choisir entre un établissement d’enseignement privé, donc religieux ou sélectif, et l’école publique, laïque et égalitaire », souligne le juriste Jean-Pierre Camby dans la Revue du droit des religions. Après la Révolution vont en effet s’ouvrir plusieurs décennies de débat entre les partisans d’une école imposée et gérée par l’Etat, ceux d’une école religieuse obligatoire, et ceux d’une liberté laissée aux parents et aux acteurs de l’enseignement.
L’Eglise catholique tente d’abord de « retrouver le contrôle de l’enseignement qu’elle détenait sous l’Ancien Régime », rappelle l’historien Yves Verneuil (Revue Histoire, monde et cultures religieuses, 2014). Mais à mesure que les idées républicaines et laïques gagnent du terrain, Rome finit par changer de position et prôner « la liberté de l’enseignement, c’est-à-dire le droit de fonder des établissements libres », indépendants de l’Etat.
Un compromis se dessine dès la IIe République. La Constitution de 1848 dispose ainsi : « L’enseignement est libre. La liberté d’enseignement s’exerce selon les conditions de capacité et de moralité déterminées par les lois, et sous la surveillance de l’Etat. » Deux ans plus tard, la loi Falloux institutionnalise le partage entre l’enseignement public, dont les financements, la formation et le recrutement des enseignants sont gérés par les pouvoirs publics, et l’enseignement privé, laissant les religieux libres d’ouvrir leurs écoles.
Ni les lois Ferry de 1882 et 1883, rendant l’école obligatoire et instaurant la gratuité et la neutralité religieuse des cours et du personnel de l’école publique, ni la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ne remettront en cause la séparation entre le public et le privé, qui demande certes une contribution financière des parents mais reçoit des subventions publiques. Selon l’historien Jean Baubérot, les « pères fondateurs de la laïcité » étaient soucieux de cet équilibre, au nom du respect des libertés de conscience et de religion : « En 1903, lors de débats sur le monopole de l’instruction publique, Georges Clemenceau alertait contre la menace d’une “tyrannie de l’Etat laïque”. »
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